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Théories de l'émergence et libéralisme

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Message par Invité Sam 10 Mar 2007 - 18:48

Mac Carthy a écrit:

La volonté est une détermination vers un but, un objectif, une fin ultime (cf Mises) qui n'appartient, qui ne peut appartenir, qu'à l'individu qui l'exerce. S'interroger sur l'intentionnalité c'est procéder à tour de passe-passe qui "recollectivise" de manière fallacieuse la volonté qui ne peut être qu'individuelle. L'étage du réel où elle apparaît, où elle affleure, c'est l'étage du réel aristotélicien (en opposition aux calembrendaines platoniciennes), l'être particulier, seul susceptible de conscience et d'existence. La conscience n'est pas indispensable, il est simplement inconcevable logiquement de penser une volonté inconsciente d'elle-même en tant que volonté (je ne dis pas en disant cela qu'une volonté ne peut pas être inconsciente de certains résultats de son action qui pourront très bien ne pas être conformes aux buts visés ; je dis que de même qu'on ne peut imaginer dire "je ne suis pas" on ne peut imaginer dire "je ne suis pas conscient").

(...)

Le tigre dans la jungle est libre d'être un tigre, mais en étant libre d'être un tigre il n'est pas "libre" de faire n'importe quoi sans en supporter les conséquences : manger des bambous ça le fera crever ou faire ses petits dans un nid ça sera pas pratique... De même, en Libertalia, l'homme qui poursuit ses fins ultimes est libre de "rechercher le bonheur" mais il n'est pas "libre" de compter 78 h à ses journées, de s'abstenir de dormir plus de deux jours de suite sans en subir les conséquences physiques ou de construire seul sa maison sans avoir auparavant acquis aucune connaissance en matière d'architecture ou de maçonnerie. Et quand il s'adressera pour des échanges libres à ses concitoyens heureux du joyeux pays de Jefferson City il sera libre de le faire mais pas "libre" de leur imposer quoi que ce soit.


J'applaudis. Parler de la liberté comme le fait Mac Carthy, c'est dire que la liberté pure et indéterminée n'existe pas, n'existe pas en acte aurait dit Aristote. Face aux lois physiques il n'est pas question d'une liberté pure et complètement indéterminée, il n'est est pas non plus question dans les rapports sociaux ou économiques.

Mais au delà de ces deux limites l'impossibilité de la liberté absolument indéterminée n'est pas la même. Parler de liberté à propos de la gravitation universelle n'a pas de sens parce que si je lâche une pierre sur mon pied, elle n'est pas libre de ne pas me tomber sur le pied. Et quelque volonté libre que j'aie qu'elle reste en l'air, elle tombera. On est simplement là hors du domaine où la liberté à un sens.
Quand liberté et volonté se trouvent exercées entre des individus qui en sont dotés, là où elles peuvent entrer en conflit et ne sont donc pas absolument libres non plus, la tentation est grande de reconstruire une mécanique sociale (on en trouve des collectivistes sans nombre, mais aussi des libérales à l'occasion) qui cherchera à s'exprimer en lois, mimant l'impossibilité d'une liberté qui irait contre les lois physiques ou logiques.

Mais cela ne marche pas, même quand on prétend comme certains libéraux à dogmes que la liberté ne peut que s'articuler sur les intérêts dont les lois seraient rigoureuses, parce que je peux ne pas avoir les mêmes buts, ni forcément les mêmes intérêts, qu'une autre volonté libre dans la même position, c'est même en cela que la liberté consiste. Je peux préférer acheter un camélia plutôt qu'investir les 25 euros qu'il va me coûter en vue de la retraite par exemple, allant par là contre les lois d'un libéralisme mal compris ou caricatural. Ce qui est en jeu, c'est que bien qu'il ne corresponde à aucune rationalité prévisible que je vais acheter un camélia (et rose plutôt que rouge) avec mes 25 euros, cela a néanmoins une place, en tant que tel, dans une société libérale : il y a des gens qui sélectionnent des camélias en vue de les obtenir roses plutôt que rouges, des jardineries qui les vendent sur l'internet, des gens qui les livrent, etc.

L'originalité d'une société libre par rapport à l'auto-organisation d'une fourmilière est je crois à rechercher là : les comportements libres peuvent y trouver leur place quand bien même ils ne répondent à aucune possibilité harmoniste et régulatrice définie a priori ou retrouvée a posteriori sous ce qui se passe. (Et même si l'on entend cet a priori et cet a posteriori comme logiques et pas chronologiques.)

Dit autrement, la main reste invisible : on ne la voit pas plus clairement quand on a constaté ses effets, et s'il y a une science économique c'est une science de ce que fait la main, pas de ce qu'elle est en soi, ni même souvent de comment elle le ferait au sens de processus toujours reproductibles et identiques dans les mêmes conditions.

C'est bien pour cela que les tentations régulatrices sont illégitimes : elles réduisent les comportements libres complexes des hommes à des comportements très simplement déterminés de fourmis édifiant sans même en avoir conscience ce qu'elles ne savent pas être une fourmilière.

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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 11:26

Brugier Ph-A a écrit:C'est effectivement toute la difficulté d'appréhender les concepts comme " volonté " , " main invisible " , par exemple , car ils ne sont pas " localisables " comme les choses concrètes
.

Intéressant, votre façon de considérer les concepts abstraits comme non localisables, donc hors de la structure espace-temps. Mais est-ce tout à fait vrai ? Il y a quelque chose de platonicien dans votre façon d’envisager cette non localité, comme s’il existait un univers d’idées ou de modèles… y compris de modèles contradictoires, ce qui rend votre « non-espace des concepts » un peu plus riche et dynamique que celui, monomaniaque et totalitaire, du vieux Platon.
Prendre l’exemple de la Sécu me hérisse le poil mais pour des raisons familiales qui n’ont rien à voir avec la discussion en cours. Disons simplement que pour moi, c’est un autre débat et qu’il nous entraînerait trop loin de la thématique abordée ici. Mais nous sommes bien d’accord pour dire que les mêmes mots peuvent recouvrir des concepts et des modèles très différents, c’est bien pour cela que le débat est important. Et votre exemple a tout de même un mérite : il montre que l’expression « sécurité sociale » possède une histoire, comme tout dans une langue, et cette histoire renvoie à des événements, des acteurs, des projets qui, eux, sont parfaitement localisables dans l’espace et dans le temps.
Magritte, bien entendu. Korzybski également. La carte n’est pas le territoire. L’observation n’est pas l’inférence. Ou la phénoménologie, Husserl, les Ideen. Mais, bien entendu, si la carte (ou les cartes, en abyme) est non locale, le territoire est, lui, parfaitement localisable.

Cher Mac Carthy

Je n’emploie pas « intentionnalité » dans le jargon qui veut traduire (?) Korzybski*, mais dans son sens trivial qui décrit le projet de projet : « j’ai l’intention de… » et je ne vois pas en quoi cela recollectivise quoi que ce soit. Vous pouvez préciser ?
*Incise : Je n’ai jamais compris pourquoi les « traducteurs » d’Husserl, de Korzybski et d’Heidegger se sont cru obligés de créer un jargon imbitable en tordant le sens de mots français courants pour leur faire dire ce que personne ne comprend, alors qu’en allemand ou en anglais, le langage de ces trois penseurs est simple, quasiment quotidien. J’ai l’impression que c’est un snobisme de cuistres désireux de montrer à quel point ils sont au-dessus du commun des mortels puisqu’ils ont une chaire de philosophie à l’université… Et dire qu’il faut préciser quand on redonne aux mots leur sens habituel ! Fin d’incise.

Nous sommes tout de même en plein dans le sujet avec les rapports du réel et du langage. Mais du langage, même s’il n’est pas doublement articulé, etc., on sait qu’il en existe chez les animaux, que leur comportement n’est pas une simple mécanique d’instincts comme on l’avait cru de Descartes à Berthelot – ou même à Changeux et, dans un autre registre, Monod. Et les animaux sont conscients d’eux-mêmes et du monde, même si ce n’est pas à notre manière, si c’est traduit en images mentales chez les oiseaux et les mammifères, en sensations coenesthésiques dans le vivant non cérébré.
En ce qui concerne les dauphins, etc., vous dites :
Ce sont surtout les humains qui travaillent avec ces mammifères "supérieurs" qui dirigent la communication avec eux.
Ce n’est pas un absolu. On a de nombreux cas où ce sont les dauphins « sauvages », par exemple, qui viennent sur les plages chercher la communication avec l’homme, laquelle se fait aisément par le truchement de la musique.
http://nezumi.dumousseau.free.fr/aust/nwa.htm
J’ai eu la flemme de chercher des références Internet plus pointues.

Le flou des frontières n’est pas le flou de l’objet ni du concept. Vous en avez un exemple pictural fort célèbre : la Joconde. Mona Lisa ressort très bien sur le paysage de fond et pourtant, si vous examinez le tableau de près, aucun contour n’est dessiné clairement. La fameuse technique de la sfumata ! C’est plutôt une question d’échelle et, effectivement, d’émergence.
Vous dites :
Le tigre dans la jungle est libre d'être un tigre, mais en étant libre d'être un tigre il n'est pas "libre" de faire n'importe quoi sans en supporter les conséquences : manger des bambous ça le fera crever ou faire ses petits dans un nid ça sera pas pratique... De même, en Libertalia, l'homme qui poursuit ses fins ultimes est libre de "rechercher le bonheur" mais il n'est pas "libre" de compter 78 h à ses journées, de s'abstenir de dormir plus de deux jours de suite sans en subir les conséquences physiques ou de construire seul sa maison sans avoir auparavant acquis aucune connaissance en matière d'architecture ou de maçonnerie. Et quand il s'adressera pour des échanges libres à ses concitoyens heureux du joyeux pays de Jefferson City il sera libre de le faire mais pas "libre" de leur imposer quoi que ce soit.
Comme quoi nous sommes bien d’accord qu’il s’agit de degrés naturels de liberté. Je suis libre de tourner la tête, mais pas sur 360°. Et l’angle maximum dépend aussi de mon entraînement musculaire et de mon arthrose !

Merci à Georges Lane d’intervenir dans ce débat !
Je reprécise tout de même, puisque c’est moi qui ai lancé l’exemple de la fourmilière, qu’il s’agissait d’illustrer par une observation de Rémy Chauvin la question de l’auto-organisation dans la nature, le passage de l’aléatoire à la structure. Votre réaction après celle d’autres intervenants me confirme un point que j’avais déjà observé par ailleurs, à savoir que l’imaginaire, la représentation mythique l’emporte sur l’observable. Il y a un mythe de la fourmilière, cf. de nombreux romans de SF – et il y a les bébêtes réelles, qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’image mythique. Force des mots ! J’ai l’impression que Laure est la seule à avoir lu cette phrase sans le truchement de la fable…
(Je dois avouer maintenant que j'ai pris cet exemple exprès parmi plusieurs disponibles pour voir comment vous alliez tous réagir, connaissant à la fois les travaux de Chauvin et l'image mythique. Me pardonnerez vous cette instructive provoc' ?)

Georges Lane a écrit:l'aléatoire, expression mathématique de l'incertitude déterministe et non pas de l'ignorance, incertitude non déterministe
Nous sommes entièrement d’accord !
J’ai critiqué la conception philosophique, métaphysique, du hasard façon Monod à partir des travaux de Gregory Chaitin. Les connaissez vous ?
Il n’était jusqu’ici pas question d’ignorance dans le débat que vous élargissez mais vous avez parfaitement raison de faire cette distinction.

Harmonie, rationalité. Vous citez Bastiat que je suis en train de lire à petites doses car c’est une pensée très dense, très riche et qu’il me faut presque à chaque ligne remettre en perspective. J’ai une formation de base avec plusieurs casquettes mais je ne suis pas économiste, comme je le disais au début de ce débat. J’ai eu d’autres lectures jusqu’ici mais je n’ai abordé ni Hayek, ni Smith, sauf par les allusions d’articles historiques ou sociologiques.
Par instinct autant que par formation, je me méfie du « ou exclusif » et l’exemple que vous donnez, l’homme serait ou (exclusif) irrationnel ou (exclusif) essentiellement rationnel, me donne envie de vous répondre « les deux, mon général ! », tout dépend du point de vue où l’on se place et du but que l’on veut atteindre par son observation. Il y a dans l’homme, me semble-t-il, de l’irrationnel et de la raison, et surtout aucune définition ne saurait cartographier entièrement l’être humain. Nous ne sommes pas totalement transparents à nous-mêmes, ce qui veut dire aussi que nous ne sommes pas objectivables et tout le danger des idéologies, c’est justement leur propension à définir l’homme et à l’enfermer dans un cadre conceptuel qui se révèle en général un lit de Procuste.

Il me semble qu’il y a quelque contradiction à mettre en avant la notion d’harmonie et à refuser celle d’émergence car elles sont cousines germaines. Pourriez vous préciser ?
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 11:34

Uncle Toby a écrit:L'originalité d'une société libre par rapport à l'auto-organisation d'une fourmilière est je crois à rechercher là : les comportements libres peuvent y trouver leur place quand bien même ils ne répondent à aucune possibilité harmoniste et régulatrice définie a priori ou retrouvée a posteriori sous ce qui se passe. (Et même si l'on entend cet a priori et cet a posteriori comme logiques et pas chronologiques.)

Oui, c'est essentiel. C'est le degré supplémentaire (ou plus exactement la dimension supplémentaire) qui nous fait hommes et pas animaux. Votre exemple du camélia est frappant. Je pourrais dans le même esprit évoquer l'homme qui se fait ermite au mont Athos et dont les échanges avec Dieu, l'univers et les autres hommes se font sur un autre mode que celui du marché.
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Message par Mac Carthy Dim 11 Mar 2007 - 12:29

Guinevere a écrit:Cher Mac Carthy

Je n’emploie pas « intentionnalité » dans le jargon qui veut traduire (?) Korzybski*, mais dans son sens trivial qui décrit le projet de projet : « j’ai l’intention de… » et je ne vois pas en quoi cela recollectivise quoi que ce soit. Vous pouvez préciser ?

Donc votre question est : qu'est-ce-que cela veut dire "j'ai l'intention de " ? Mais alors je ne vois bien pas le sens de votre phrase à laquelle je répondais.

Guinevere a écrit:Nous sommes tout de même en plein dans le sujet avec les rapports du réel et du langage. Mais du langage, même s’il n’est pas doublement articulé, etc., on sait qu’il en existe chez les animaux, que leur comportement n’est pas une simple mécanique d’instincts comme on l’avait cru de Descartes à Berthelot – ou même à Changeux et, dans un autre registre, Monod. Et les animaux sont conscients d’eux-mêmes et du monde, même si ce n’est pas à notre manière, si c’est traduit en images mentales chez les oiseaux et les mammifères, en sensations coenesthésiques dans le vivant non cérébré.
En ce qui concerne les dauphins, etc., vous dites :
Ce sont surtout les humains qui travaillent avec ces mammifères "supérieurs" qui dirigent la communication avec eux.
Ce n’est pas un absolu. On a de nombreux cas où ce sont les dauphins « sauvages », par exemple, qui viennent sur les plages chercher la communication avec l’homme, laquelle se fait aisément par le truchement de la musique.
http://nezumi.dumousseau.free.fr/aust/nwa.htm
J’ai eu la flemme de chercher des références Internet plus pointues.

Et tout ça nous est rapporté par des productions orales ou écrites.... humaines ! Quoique vous fassiez c'est bien toujours et forcément la parole et/ou la pensée (au minimum la vôtre) de l'homme qui vous renseigne sur le monde.

Guinevere a écrit: Le flou des frontières n’est pas le flou de l’objet ni du concept. Vous en avez un exemple pictural fort célèbre : la Joconde. Mona Lisa ressort très bien sur le paysage de fond et pourtant, si vous examinez le tableau de près, aucun contour n’est dessiné clairement. La fameuse technique de la sfumata ! C’est plutôt une question d’échelle et, effectivement, d’émergence.

Analogie n'est pas raison... Si on ne distingue pas bien Mona Lisa de loin, il est risqué et surtout faux de croire reconnaître la Fornarina par exemple.

Guinevere a écrit:
Comme quoi nous sommes bien d’accord qu’il s’agit de degrés naturels de liberté. Je suis libre de tourner la tête, mais pas sur 360°. Et l’angle maximum dépend aussi de mon entraînement musculaire et de mon arthrose !

Non, ce n'est pas une question de degré, mais de nature. Je ne suis pas libre de voler ou d'entasser des réserves comme un chameau (pas de commentaire sur mes éventuels points communs avec cet animal SVP chère amie ! wink ). Ce que vous mentionnez sur l'entraînement par contre là est bien une question de degré. Ce que nous apprenons, ce que nous acquiérons par la science ou la pratique doit élargir note champ du possible.

Guinevère a écrit:
J’ai critiqué la conception philosophique, métaphysique, du hasard façon Monod à partir des travaux de Gregory Chaitin. Les connaissez vous ?
Il n’était jusqu’ici pas question d’ignorance dans le débat que vous élargissez mais vous avez parfaitement raison de faire cette distinction.

Oui.

Guinevère a écrit: Harmonie, rationalité. Vous citez Bastiat que je suis en train de lire à petites doses car c’est une pensée très dense, très riche et qu’il me faut presque à chaque ligne remettre en perspective. J’ai une formation de base avec plusieurs casquettes mais je ne suis pas économiste, comme je le disais au début de ce débat. J’ai eu d’autres lectures jusqu’ici mais je n’ai abordé ni Hayek, ni Smith, sauf par les allusions d’articles historiques ou sociologiques.
Par instinct autant que par formation, je me méfie du « ou exclusif » et l’exemple que vous donnez, l’homme serait ou (exclusif) irrationnel ou (exclusif) essentiellement rationnel, me donne envie de vous répondre « les deux, mon général ! », tout dépend du point de vue où l’on se place et du but que l’on veut atteindre par son observation. Il y a dans l’homme, me semble-t-il, de l’irrationnel et de la raison, et surtout aucune définition ne saurait cartographier entièrement l’être humain. Nous ne sommes pas totalement transparents à nous-mêmes, ce qui veut dire aussi que nous ne sommes pas objectivables et tout le danger des idéologies, c’est justement leur propension à définir l’homme et à l’enfermer dans un cadre conceptuel qui se révèle en général un lit de Procuste.

Il me semble qu’il y a quelque contradiction à mettre en avant la notion d’harmonie et à refuser celle d’émergence car elles sont cousines germaines. Pourriez vous préciser ?

Le rationnel, au sens autrichien, s'oppose à l'irrationnel mais ne prétend pas que tout acte rationnel est forcément raisonnable ou sensé. C'est la faculté humaine d'utilisation de sa raison pour parvenir à ses fins, mais dire que l'homme est rationnel ne veut pas dire qu'il emploie toujours les bons moyens pour obtenir ses fins ni même ne juge du bien fondé de ces fins.
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 14:00

Mon cher Mac Carthy,

Je ne soulignerai pas votre éventuelle parenté avec le vaisseau du désert à la condition expresse que vous ne mettiez pas l'accent sur mon éventuelle ressemblance avec Théories de l'émergence et libéralisme - Page 2 Animaux27

Ma série de questions visait pourtant à faire réfléchir sur les continuités entre l'homme et l'animal, de façon à mieux dégager le propre de l'homme, en particulier en matière de liberté. J'ai de plus en plus l'impression que nous nous rejoignons sur l'essentiel mais en venant d'horizons assez éloignés pour que les mots fassent problème. par exemple le mot liberté... content

Vous dites :
Quoique vous fassiez c'est bien toujours et forcément la parole et/ou la pensée (au minimum la vôtre) de l'homme qui vous renseigne sur le monde.

Je suis totalement d'accord. L'observation me permet de dégager les continuités et les ruptures mais cette capacité humaine d'observation et de conceptualisation fait partie des ruptures. Je ne sais plus qui (Lupasco ?) a dit : "L'animal sait, l'homme sait qu'il sait". Oui, c'est Lupasco puisque je lui avais répondu en direct que certains animaux supérieurs peuvent savoir qu'ils savent mais que seul l'homme sait qu'il ignore.
Dans cette discussion, j'ai surtout mis l'accent sur les continuités en matière de présence de jeu (au sens mécanique "il y a du jeu"), d'indétermination, de liberté, voire d'intentionnalité (le lapin a-t-il l'intention d'aller là plutôt qu'ailleurs ?), pour souligner les phénomènes d'auto-organisation. Ce n'est pas une tentative pour ramener l'homme vers l'animal à la façon des sociobiologistes, plutôt une façon (qui d'ailleurs n'est pas mienne mais fait partie du débat scientifique actuel) de sortir de l'objectivation du monde, d'une vision mécaniste de la nature. En un sens, si je rapproche l'électron ou l'animal de l'homme, c'est en les "humanisant" et non l'inverse. Sans tomber pour autant dans l'anthropomorphisme. La diversité est richesse !
Il reste des malentendus sur les mots. En particulier l'emploi de "degrés de liberté" et la question des limites floues. Bien entendu, comparaison n'est pas raison, mais souvent plus parlante qu'un syllogisme.

Le rationnel au sens autrichien ? En voilà une autre ! Encore un mot dont la signification que je croyais connaître (et que je ne confonds pas avec le "raisonnable") vacille s'il a un sens autrichien et un sens français ! Moi qui viens de me frotter ailleurs avec OCB qui me prétendait qu'il y avait une "bonne" science continentale et une "mauvaise" science anglaise !
lol!
Bref, je brûle de comprendre en quoi le sens autrichien diffère de celui de mes cours de philo, socle inébranlé jusqu'ici.
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Message par Laure Dim 11 Mar 2007 - 14:12

Guinevere a écrit:Le rationnel au sens autrichien ? En voilà une autre ! Encore un mot dont la signification que je croyais connaître (et que je ne confonds pas avec le "raisonnable") vacille s'il a un sens autrichien et un sens français ! Moi qui viens de me frotter ailleurs avec OCB qui me prétendait qu'il y avait une "bonne" science continentale et une "mauvaise" science anglaise !
lol!
Bref, je brûle de comprendre en quoi le sens autrichien diffère de celui de mes cours de philo, socle inébranlé jusqu'ici.

Rationnel dans le cadre autrichien veut dire "motivé par une raison" (et non "conforme à la Raison", si tant est que cela ait un sens).

"L'agir humain est nécessairement toujours rationnel. Le terme « action rationnelle » est ainsi pléonastique et doit être évité comme tel. Lorsqu'on les applique aux objectifs ultimes d'une action, les termes rationnel et irrationnel sont inappropriés et dénués de sens. La fin ultime de l'action est toujours la satisfaction de quelque désir de l'homme qui agit. Comme personne n'est en mesure de substituer ses propres jugements de valeur à ceux de l'individu agissant, il est vain de porter un jugement sur les buts et volitions de quelqu'un d'autre. Aucun homme n'est compétent pour déclarer que quelque chose rendrait un homme plus heureux ou moins insatisfait. Le critiqueur tantôt nous dit ce qu'il croit qu'il prendrait pour objectif s'il était à la place de l'autre ; tantôt, faisant allègrement fi dans son arrogance dictatoriale de ce que veut et désire son semblable, il décrit l'état du critiqué qui serait le plus avantageux pour le critiqueur lui-même."
(Ludwig von Mises)
http://herve.dequengo.free.fr/Mises/AH/AH1.htm#par4

Voir aussi : http://www.liberaux.org/wiki/index.php?title=Raison

Cela rejoint aussi un autre thème libéral, celui de la subjectivité de la valeur : http://www.liberaux.org/wiki/index.php?title=Subjectivit%C3%A9_de_la_valeur
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Message par georges lane Dim 11 Mar 2007 - 15:23

Guinevere a écrit:

Par instinct autant que par formation, je me méfie du « ou exclusif » et l’exemple que vous donnez, l’homme serait ou (exclusif) irrationnel ou (exclusif) essentiellement rationnel, me donne envie de vous répondre « les deux, mon général ! », tout dépend du point de vue où l’on se place et du but que l’on veut atteindre par son observation. Il y a dans l’homme, me semble-t-il, de l’irrationnel et de la raison, et surtout aucune définition ne saurait cartographier entièrement l’être humain. Nous ne sommes pas totalement transparents à nous-mêmes, ce qui veut dire aussi que nous ne sommes pas objectivables et tout le danger des idéologies, c’est justement leur propension à définir l’homme et à l’enfermer dans un cadre conceptuel qui se révèle en général un lit de Procuste.

Il me semble qu’il y a quelque contradiction à mettre en avant la notion d’harmonie et à refuser celle d’émergence car elles sont cousines germaines. Pourriez vous préciser ?


Laure m'a coupé l'herbe sous le pied et a répondu dans son dernier message au premier paragraphe. applaud
Je n'ai rien à y ajouter d'essentiel sinon à préciser que j'avais eu la prétention de donner les extrêmes des positions : le "ou" n'était pas "exclusif".

S'agissant du second, j'hésite à reconnaître qu'elles sont cousines germaines. tapoter
Il me semble que l'harmonie préside à la réalité, s'impose sans violence, est une règle d'action découverte par l'être humain, conception que je considère avoir trouvée autant chez l'écrivain de 1850 qu'est Bastiat que chez le mathématicien de génie de 1908 qu'est Poincaré.

Alors que la référence à l'émergence me fait penser à des images du genre "la naissance d'Aphrodite" ou "la remontée du sous marin à la surface" : ce sont donc des résultats d'action et donc de pensée qu'on laisse de côté sans le préciser. Et cela m'ennuie. boulet

Dans la réalité, "on ne fait rien sans rien". Et le plus souvent, on connaît mal ce qu'on transforme pour obtenir les résultats qu'on espère avec incertitude.
L'émergence est à mes yeux un résultat observable d'action et ceux qui y font référence écarte, sans expliquer pourquoi, l'action en question. L'important est, pour moi, l'action observable et ses résultats espérés avec incertitude.

Bref, ma précision Idea serait que l'harmonie préside aux actions dont un des résultats est l'émergence... , que l'harmonie préside à l'émergence. On est donc loin du "cousinage germanique".


merci
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 15:31

Merci pour ces références, Laure. je suis en train de lire le texte de Mises et j'ai l'impression de marcher dans un pré l'été, où chaque pas fait jaillir une dizaines de crickets et de sauterelles ! Sauf qu'il s'agit ici de questions... Mais je reconnais que c'est fort intéressant.
Je reviens avec des réflexions neuves quand j'aurai fini de lire l'article en question.
Encore merci !
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Message par Mac Carthy Dim 11 Mar 2007 - 16:15

Guinevere a écrit:
Le rationnel au sens autrichien ?

Toutes mes excuses pour avoir été un peu vite dans mon expression. "Au sens autrichien" veut dire "au sens de l'école autrichienne d'économie", c'est-à-dire d'auteurs comme Carl Menger, Ludwig von Mises ou Murray Rothbard. Particulièrement dans tout l'oeuvre de Mises, l'"inventeur" de la science de l'agir humain, la praxéologie.

Laure vous a aiguillé sur la page d'Hervé de Quengo, je ne peux que l'en féliciter et vous souhaiter de savantes promenades. (et pour compléter l'info il existe une édition abrégée, excellente, de l'Action Humaine de Mises aux éditions des Belles Lettres.)
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Théories de l'émergence et libéralisme - Page 2 Empty Re: Théories de l'émergence et libéralisme

Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 16:30

Merci à tous.
Je vous poste ici mes premières réflexions et notes sur la lecture de l'article de Mises, les sauterelles telles qu'elles jaillissent !

Ludwig von Mises a écrit:Car le terme volonté ne signifie rien autre que la faculté de choisir entre différents états de choses, de préférer l'un, d'écarter l'autre, et de se comporter conformément à la décision prise, de façon à se rapprocher de l'état de choses choisi et à s'éloigner de l'autre.

Intéressant. J’ai souvent opposé la volonté comme orientation de l’être et des facultés humaines, ce qui implique une visée vers… (Mises parle d’un but, c’est très proche) mais pas obligatoirement un effort, à la conception qu’on en avait dans les années 30 et qui supposait tension et effort.

Ludwig von Mises a écrit:Le nouveau-né non plus n'est pas un être capable d'agir.

Voilà qui se discute ! Personne ne niera que le nouveau-né est en état de grande dépendance, mais un être dépendant (physiquement ou psychologiquement) est-il privé totalement de la capacité d’agir ? Dans la vie d’un tout-petit, la dépendance touche aux conditions de survie, manger, être changé, baigné, réchauffé… mais il reste tout un champ d’expérience et donc d’action que les adultes mesurent souvent mal. Sourire aux anges, tendre la main vers un rayon de soleil ou un grelot, est-ce un acte ?

Ludwig von Mises a écrit:Quelque insondables que soient les profondeurs d'où émergent une impulsion ou un instinct, les moyens qu'un homme choisit pour y satisfaire sont déterminés par une considération raisonnée de la dépense et du résultat.


Application à l’homme du principe d’économie (énergétique), de moindre action, du rasoir d’Occam en somme. Il semble assez juste en physique (état d’équilibre de l’électron, par exemple) mais déjà plus discutable en biologie. La nature gaspille. Des milliers de graines pour un arbre qui parvient à plein développement, des centaines d’œufs dans le frai des poissons et fort peu d’adultes, et l’on pourrait parler du sperme des mammifères. Le gagnant de la course à l’ovule élimine plus de frères potentiels que l’univers n’a d’étoiles et l’improbabilité d’existence de chaque être humain résultant dépasse le nombre des atomes de ce même univers. Ce n’est pas une figure de style, quelqu’un (j’ai oublié qui) a fait le calcul.
L'homme reviendrait-il à un moindre gaspillage ? Voir les trois logiques selon Lupasco.

Ludwig von Mises a écrit:L'homme est l'être qui a des inhibitions, qui peut dominer ses impulsions et désirs, qui t a la force de réprimer ses désirs instinctifs et ses impulsions.

Oui, c’est le point de rupture avec l’animal. Ethologie ouverte. L’erreur des sociobiologistes : confondre la sociabilité humaine avec celle des canidés et mettre l’accent sur la hiérarchie comme une donnée indépassable et rigide. L’erreur des égalitaristes : considérer que l’héritage primate et donc la hiérarchisation sociale est totalement silencieux, que tout vient de la culture et que la table rase est possible. L’éventail comportemental de l’homme est ouvert, la créativité y a sa place, c’est ce que permet l’inhibition – mais ce n’est pas une page entièrement blanche.

Ludwig von Mises a écrit:Le progrès de la recherche scientifique peut réussir à montrer que quelque chose antérieurement considéré comme donné ultime, peut être réduit à des composantes. Mais il y aura toujours quelque phénomène irréductible et rebelle à l'analyse, quelque donné ultime.
C’est justement cette régression vers le donné ultime que met en doute l’actuelle théorie des émergences, sa capacité explicative.

Ludwig von Mises a écrit:Ce que nous constatons en fait de jugements de valeur et d'actions d'hommes ne se prête pas à une analyse qui les dépasse. Nous pouvons honnêtement admettre ou croire qu'ils sont absolument liés à leurs causes et conditionnés par elles. Mais dès lors que nous ne savons pas comment les faits externes — physiques et physiologiques — produisent dans l'esprit humain des pensées déterminées et des volitions conduisant à des actes concrets, nous devons prendre acte d'un insurmontable dualisme méthodologique. Dans l'état actuel de nos connaissances, les thèses fondamentales du positivisme, du monisme et du panphysicisme sont simplement des postulats métaphysiques dépourvus de toute base scientifique et dénués à la fois de signification et d'utilité pour la recherche scientifique. La raison et l'expérience nous montrent deux règnes séparés : le monde extérieur des phénomènes physiques, chimiques et physiologiques, et le monde intérieur de la pensée, du sentiment, du jugement de valeur, et de l'action guidée par l'intention. Aucune passerelle ne relie — pour autant que nous le voyions aujourd'hui — ces deux sphères. Des événements extérieurs identiques provoquent parfois des réponses humaines différentes, et des événements extérieurs différents provoquent parfois la même réponse humaine. Nous ne savons pas pourquoi.
Oui, essentiel.
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Message par Mac Carthy Dim 11 Mar 2007 - 17:28

Guinevere a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:Le nouveau-né non plus n'est pas un être capable d'agir.

Voilà qui se discute ! Personne ne niera que le nouveau-né est en état de grande dépendance, mais un être dépendant (physiquement ou psychologiquement) est-il privé totalement de la capacité d’agir ? Dans la vie d’un tout-petit, la dépendance touche aux conditions de survie, manger, être changé, baigné, réchauffé… mais il reste tout un champ d’expérience et donc d’action que les adultes mesurent souvent mal. Sourire aux anges, tendre la main vers un rayon de soleil ou un grelot, est-ce un acte ?

Mises parle du nouveau-né pas du nourrisson qui lui est capable d'agir. Théories de l'émergence et libéralisme - Page 2 Bibop_baby

Guinevère a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:Quelque insondables que soient les profondeurs d'où émergent une impulsion ou un instinct, les moyens qu'un homme choisit pour y satisfaire sont déterminés par une considération raisonnée de la dépense et du résultat.


Application à l’homme du principe d’économie (énergétique), de moindre action, du rasoir d’Occam en somme. Il semble assez juste en physique (état d’équilibre de l’électron, par exemple) mais déjà plus discutable en biologie. La nature gaspille. Des milliers de graines pour un arbre qui parvient à plein développement, des centaines d’œufs dans le frai des poissons et fort peu d’adultes, et l’on pourrait parler du sperme des mammifères. Le gagnant de la course à l’ovule élimine plus de frères potentiels que l’univers n’a d’étoiles et l’improbabilité d’existence de chaque être humain résultant dépasse le nombre des atomes de ce même univers. Ce n’est pas une figure de style, quelqu’un (j’ai oublié qui) a fait le calcul.
L'homme reviendrait-il à un moindre gaspillage ? Voir les trois logiques selon Lupasco.

Mises ne dit pas que l'homme chosit forcément la meilleure solution, la plus adaptée à ses intérêts, il dit qu'il emploie forcément sa raison pour déterminer les moyens qu'il va employer pour parvenir à ses fins. Le paysan qui fait une offrande à Cérès pour obtenir une bonne récolte et celui qui améliore sa terre avec de l'engrais sont tous deux rationnels, et pas l'un plus que l'autre. De même l'homme qui fait confiance à l'EN pour apprendre à lire à ses enfants ou celui qui s'adresse à un maître privé sont tous deux des hommes utilisant leur raison en "calculant leurs dépenses par rapport au résultat attendu". On pourra effectivement penser que l'un des deux se gourre dans le calcul...

Guinevère a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:L'homme est l'être qui a des inhibitions, qui peut dominer ses impulsions et désirs, qui a la force de réprimer ses désirs instinctifs et ses impulsions.

Oui, c’est le point de rupture avec l’animal. Ethologie ouverte. L’erreur des sociobiologistes : confondre la sociabilité humaine avec celle des canidés et mettre l’accent sur la hiérarchie comme une donnée indépassable et rigide. L’erreur des égalitaristes : considérer que l’héritage primate et donc la hiérarchisation sociale est totalement silencieux, que tout vient de la culture et que la table rase est possible. L’éventail comportemental de l’homme est ouvert, la créativité y a sa place, c’est ce que permet l’inhibition – mais ce n’est pas une page entièrement blanche.

Oui.

Guinevère a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:Le progrès de la recherche scientifique peut réussir à montrer que quelque chose antérieurement considéré comme donné ultime, peut être réduit à des composantes. Mais il y aura toujours quelque phénomène irréductible et rebelle à l'analyse, quelque donné ultime.
C’est justement cette régression vers le donné ultime que met en doute l’actuelle théorie des émergences, sa capacité explicative.

Nous saurons donc bientôt TOUT ? Ou ai-je mal compris ? Théories de l'émergence et libéralisme - Page 2 Idee-ampoule-987

A la base de la théorie des émergences n'y-a-t'il pas toujours cette croyance que "le tout est plus que la somme de ses parties" et que cette hypothèse est applicable à l'agir humain ?
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 17:57

Cher Mac Carthy

Je n'ai pas dit que Mises disait "que l'homme choisit forcément la meilleure solution, la plus adaptée à ses intérêts", c'est sur "considération raisonnée de la dépense et du résultat" que je réagissais. Et plus pour questionner qu'affirmer ou critiquer.
Si j'ai été trop elliptique par envie d'avancer aussi dans la lecture, pardonnez moi. Il me semble qu'avec une telle phrase, Mises tire le choix humain du côté du principe d'économie, le fameux rasoir d'Occam. Comme par ailleurs, l'homme est un être biologique et que l'on voit à l'oeuvre en biologie un principe tout différent, passer par la profusion gaspillée pour obtenir un résultat qui peut paraître maigriot, il m'a semblé que le retour du psychisme humain vers le principe de moindre action, d'adaptation de la dépense au résultat, était à relever. Cela m'a rappelé les trois logiques de Lupasco, homogénéisation dans la "matière", hétérogénéisation du vivant, équilibre des deux dans le psychique.
Mais je n'ai pas fait dire à Mises ce qu'il ne disait pas, il est très clair sur les questions d'erreur d'aiguillage que vous soulevez.
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 18:11

Non, nous ne saurons pas bientôt TOUT...
"Le tout est plus que la somme des parties", oui. Mais pas n'importe comment. Je reviendrai sur la théorie des émergences car j'ai l'impression qu'elle n'est pas comprise, ce qui veut dire que je ne l'ai pas présentée assez clairement. Mais j'ai aussi poursuivi ma lecture de l'article de Mises. Je vous livre mes réflexions en vous rappelant que ce sont des premiers jets, des impressions à reprendre, à retravailler, à réfléchir.

Ludwig von Mises a écrit:Lorsqu'on les applique aux objectifs ultimes d'une action, les termes rationnel et irrationnel sont inappropriés et dénués de sens.

J’aimerais bien voir les termes employés en allemand car j’y retrouve la même ambiguïté en français que dans le discours de Benoît XVI à Ratisbonne (qui s'était éclairé lorsque j'avais eu accès aux termes allemands).

Ludwig von Mises a écrit:Il est arbitraire de considérer la seule satisfaction des besoins du corps, des exigences physiologiques, comme « naturelle » et par conséquent « rationnelle », le reste étant « artificiel » et donc « irrationnel ». C'est la note caractéristique de la nature humaine, que ce fait : l'homme ne cherche pas seulement nourriture, abri et cohabitation comme tous les autres animaux, mais tend aussi à d'autres sortes de satisfactions. L'homme a des désirs et des besoins que nous pouvons appeler « plus élevés » que ceux qui lui sont communs avec les autres mammifères
Oui, essentiel. Mais limiter le « naturel » au biologique et l’identifier au « rationnel », ce n’est pas de la science, c’est un préjugé scientiste, c’est Auguste Comte relu par Reuchlin ! Même Evry Schatzman dans ses plus mauvais articles de Science et vie n’aurait pas osé… Et Laborit aurait hurlé !

Ludwig von Mises a écrit:Concernant le problème de l'antithèse rationnel/irrationnel, il n'y a pas de différence entre les sciences naturelles et les sciences sociales. La science est, et doit être, toujours rationnelle. Elle est un effort pour réaliser une saisie mentale des phénomènes de l'univers, grâce à un arrangement systématique de l'entièreté des connaissances disponibles. Toutefois, comme on l'a remarqué plus haut, l'analyse des objets de connaissance en leurs éléments constitutifs doit, tôt ou tard et inévitablement, atteindre un point où cette analyse ne peut plus avancer. L'esprit humain n'est même pas capable de concevoir un genre de savoir qui ne soit pas borné par un donné ultime inaccessible à toute analyse et réduction supplémentaire. La méthode scientifique qui porte l'esprit jusqu'à ce point-là est entièrement rationnelle. Le donné ultime peut être qualifié de fait irrationnel.

Donc l’irrationnel, pour lui, c’est ce que Husserl aurait appelé l’en-soi ou le « réel voilé » de Bernard d’Espagnat. Mais qu’est-ce qui se passe quand le donné ultime n’est pas un objet mais un mode de dynamisme, un processus de structuration ? On peut le décrire fort rationnellement, il s’applique de manière très large, permet une vision « transversale » et plus seulement arborescente du réel et c’est pourtant une forme de donné ultime. (Note pour Mac Carthy et Georges Lane : c'est cela, le principal apport de la théorie des émergences)

Ludwig von Mises a écrit:L'archétype de la recherche de causalité fut : où et comment puis-je intervenir pour détourner le cours des événements, par rapport à ce que serait ce cours si je n'intervenais pour le diriger d'une façon qui convienne mieux à mes souhaits ? Dans cet état d'esprit, l'homme se pose la question qui, ou quoi, est au fond des choses ? Il cherche la régularité et la « loi », parce qu'il veut intervenir. C'est plus tard seulement que cette recherche a été interprétée plus extensivement par la métaphysique, comme une recherche de la cause première de l'être et de l'exister.

« Au commencement était l’action », Goethe. Ou le vieux poncif du bac de philo : l’homo faber a précédé l’homo sapiens. Qu’est-ce qu’on en sait ? Je ne vois pas, pour ma part, comment établir une antériorité, fût-elle logique plutôt que chronologique. Tout ce que nous montrent l’archéologie et l’histoire, c’est que les capacités d’analyse de l’homme moderne dépassent les performances d’Erectus et de Néanderthal, mais déjà ce dernier comptait, comme le prouve l’arrangement des cupules sur une des rares pierres tombales parvenues jusqu’à nous et qui, de plus, a les proportions du triangle « pythagoricien ». Action et analyse me semblent avoir poussé ensemble. L’origine des connaissances est assez énigmatique. On sait que dans les cultures de chasseurs cueilleurs sans écriture, elles se transmettent par les récits mythiques cantilés, mais leur apparition ?

Ludwig von Mises a écrit:Il y a des changements dont les causes sont, au moins actuellement, inconnues de nous. Parfois nous parvenons à acquérir une connaissance partielle, de sorte que nous puissions dire : dans 70 % de tous les cas, A a pour effet B, dans les autres cas, l'effet est C, ou même D, E, F, etc. Afin de remplacer cette information fragmentaire par une connaissance plus précise il serait nécessaire de subdiviser A en ses éléments. Tant que cela n'est pas réalisé, nous devons nous contenter de ce qu'on appelle une loi statistique. Mais cela n'affecte pas la signification praxéologique de la causalité. Une ignorance totale ou partielle dans certains domaines n'abroge pas la catégorie de causalité.
Tiens, coucou, la revoilà, la vieille théorie des variables cachées ! Même Jean Pierre Vigier a été obligé de l’abandonner après les expériences d’Alain Aspect à Orsay, c’est dire ! C’est vraiment dommage que ça ne plaise pas à Ludwig von Mises, mais c’est le réel qui a répondu comme ça. D’ailleurs, ça ne plaît à personne dans les sciences humaines, ce qui est tout de même hautement paradoxal.

Ludwig von Mises a écrit:Nous devons simplement établir le fait qu'afin d'agir, l'homme doit connaître la relation causale entre les événements, processus ou états de choses. Et c'est seulement dans la mesure où il connaît cette relation, que son action peut atteindre le but qu'il se propose. Nous avons pleinement conscience qu'en affirmant cela, nous tournons en rond. Car la preuve que nous avons saisi une relation causale est fournie seulement par le fait que l'action guidée par cette compréhension aboutit au résultat qui en était escompté. Mais nous ne pouvons éviter ce cercle vicieux parce que précisément la causalité est une catégorie de l'action.
Intéressant. On peut effectivement ranger l’expérience scientifique parmi les actions mais c’est la vision « classique » qu’a Mises de la causalité qui pose problème. Il semble l’aborder de manière rigide, façon Laplace ou Berthelot. La science du XIXe siècle ! Pourquoi les sciences humaines, y compris cette toute nouvelle praxéologie, ont-elles tant de mal à saisir la « révolution » quantique et relativiste ? Manque de culture mathématique ? Quand je repense à mes difficultés à saisir le concept de rotationnel, c’est possible. Mais les physiciens eux-mêmes, Planck en tête, ont avancé à reculons pendant une bonne partie du XXe siècle, jusqu’à ce qu’Aspect renvoie les variables cachées au musée des sciences mortes à côté de l’impetus et du phlogistique. Quand aurons nous les sciences humaines à la hauteur conceptuelle de la physique, celles que j’appelle de mes vœux depuis tant d’années ?

Ludwig von Mises a écrit:Si nous acceptons de prendre le terme de causalité dans son sens le plus large, la téléologie peut être dite une variété de recherche sur la causalité. Les causes finales sont avant tout des causes. La cause d'un événement est vue comme une action ou quasi-action visant une certaine fin.
Alors là, bravo ! Je ne peux qu’approuver et applaudir.
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Message par Mac Carthy Dim 11 Mar 2007 - 18:41

Guinevere a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:Il y a des changements dont les causes sont, au moins actuellement, inconnues de nous. Parfois nous parvenons à acquérir une connaissance partielle, de sorte que nous puissions dire : dans 70 % de tous les cas, A a pour effet B, dans les autres cas, l'effet est C, ou même D, E, F, etc. Afin de remplacer cette information fragmentaire par une connaissance plus précise il serait nécessaire de subdiviser A en ses éléments. Tant que cela n'est pas réalisé, nous devons nous contenter de ce qu'on appelle une loi statistique. Mais cela n'affecte pas la signification praxéologique de la causalité. Une ignorance totale ou partielle dans certains domaines n'abroge pas la catégorie de causalité.
Tiens, coucou, la revoilà, la vieille théorie des variables cachées ! Même Jean Pierre Vigier a été obligé de l’abandonner après les expériences d’Alain Aspect à Orsay, c’est dire ! C’est vraiment dommage que ça ne plaise pas à Ludwig von Mises, mais c’est le réel qui a répondu comme ça. D’ailleurs, ça ne plaît à personne dans les sciences humaines, ce qui est tout de même hautement paradoxal.

Intéressant, pourriez-vous développer ? Je crois comprendre le sens de la théorie (et je subodore même que cela ne remet pas en cause vraiment ce que dit Mises wink ) mais j'aimerais en savoir plus. Je m'attèle à une recherche sur le web mais comme on est toujours mieux soutenu dans ses démarches par une accompagnatrice Théories de l'émergence et libéralisme - Page 2 Chats-parapluie-34 déjà au fait ne vous gênez pas pour m(nous) 'éclairer !

Guinevère a écrit:
Ludwig von Mises a écrit:Nous devons simplement établir le fait qu'afin d'agir, l'homme doit connaître la relation causale entre les événements, processus ou états de choses. Et c'est seulement dans la mesure où il connaît cette relation, que son action peut atteindre le but qu'il se propose. Nous avons pleinement conscience qu'en affirmant cela, nous tournons en rond. Car la preuve que nous avons saisi une relation causale est fournie seulement par le fait que l'action guidée par cette compréhension aboutit au résultat qui en était escompté. Mais nous ne pouvons éviter ce cercle vicieux parce que précisément la causalité est une catégorie de l'action.
Intéressant. On peut effectivement ranger l’expérience scientifique parmi les actions mais c’est la vision « classique » qu’a Mises de la causalité qui pose problème. Il semble l’aborder de manière rigide, façon Laplace ou Berthelot. La science du XIXe siècle ! Pourquoi les sciences humaines, y compris cette toute nouvelle praxéologie, ont-elles tant de mal à saisir la « révolution » quantique et relativiste ? Manque de culture mathématique ? Quand je repense à mes difficultés à saisir le concept de rotationnel, c’est possible. Mais les physiciens eux-mêmes, Planck en tête, ont avancé à reculons pendant une bonne partie du XXe siècle, jusqu’à ce qu’Aspect renvoie les variables cachées au musée des sciences mortes à côté de l’impetus et du phlogistique. Quand aurons nous les sciences humaines à la hauteur conceptuelle de la physique, celles que j’appelle de mes vœux depuis tant d’années ?

Passionnante cette réflexion sur la causalité. Comme je l'ai dit précédemment je suis avide d'en savoir plus... je suis tout joyeux comme quand je sais (mais autrement que d'une manière théorique ou philosophique, quand je le sais concrétement) que j'ai encore plein de choses à découvrir et que cela ne vas pas tarder. Merci !
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Message par Laure Dim 11 Mar 2007 - 19:09

Guinevere a écrit:Intéressant. On peut effectivement ranger l’expérience scientifique parmi les actions mais c’est la vision « classique » qu’a Mises de la causalité qui pose problème. Il semble l’aborder de manière rigide, façon Laplace ou Berthelot. La science du XIXe siècle ! Pourquoi les sciences humaines, y compris cette toute nouvelle praxéologie, ont-elles tant de mal à saisir la « révolution » quantique et relativiste ? Manque de culture mathématique ? Quand je repense à mes difficultés à saisir le concept de rotationnel, c’est possible. Mais les physiciens eux-mêmes, Planck en tête, ont avancé à reculons pendant une bonne partie du XXe siècle, jusqu’à ce qu’Aspect renvoie les variables cachées au musée des sciences mortes à côté de l’impetus et du phlogistique. Quand aurons nous les sciences humaines à la hauteur conceptuelle de la physique, celles que j’appelle de mes vœux depuis tant d’années ?
Je ne vois pas bien le rapport entre la praxéologie et la physique. N'oubliez pas que la physique ne décrit pas la réalité, elle propose seulement des modèles (atome, espace-temps, etc.) et cherche à les valider par l'expérience, et de tester leur prédictibilité. C'est la démarche scientifique classique, galvaudée d'ailleurs depuis qu'on a pris l'habitude de créer des modèles qui n'ont jamais été validés par l'expérience (exemple : théorie des cordes). Ne mettez pas la physique sur un piédestal, dans certains domaines elle patauge depuis des dizaines d'années !

Les variables, cachées ou non, n'existent pas dans la nature, elles font partie d'un modèle créé par l'esprit humain, et il n'y a pas de modèle parfait ni de "théorie du Tout".


Dernière édition par le Dim 11 Mar 2007 - 19:18, édité 2 fois
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 19:10

Mon cher Mac Carthy.
Je poste la suite de ma lecture annotée et je reviens à votre demande. Mais je vous demande un petit moment car cela fait quelques heures de travail intense sur ce texte et j'ai besoin d'une petite récré...
Vos deux chats sous le parapluie sont charmants !

Suite de la lecture de Mises :

Ludwig von Mises a écrit:L'homme primitif et l'enfant, dans une attitude naïvement anthropomorphique…

Ouille ! Auguste Comte et ses trois étapes, François Marion et son hymne au progrès, Lévy-Bruhl et la pensée prélogique… Cela non plus, ce n’est pas jeune. Mais un historien des mentalités ou même un historien des sciences serait beaucoup plus nuancé. Y a-t-il vraiment encore des économistes ou des sociologues pour penser des choses pareilles ? Heureusement que Mises le critique !

Ludwig von Mises a écrit:Il est indubitable que l'habitude de considérer les autres hommes comme des êtres qui pensent et agissent comme moi, l'ego, s'est avérée pratique ; d'autre part, il semble tout à fait irréalisable d'obtenir une vérification pragmatique du même genre, pour le postulat qui demande qu'on les traite comme les objets des sciences naturelles.


Surtout quand, dans les sciences « naturelles » elles-mêmes, la notion d’objet s’efface devant celles d’événement, d’interaction, de processus.

Ludwig von Mises a écrit:L'homme ne dispose que de deux principes pour saisir mentalement la réalité, à savoir ceux de la téléologie et de la causalité. Ce qui ne peut être ramené sous l'une ou sous l'autre de ces catégories est absolument caché pour l'esprit de l'homme. Un événement qui ne peut être interprété grâce à l'un ou l'autre de ces deux principes est pour l'homme inconcevable et mystérieux. Le changement peut être compris comme le résultat ou bien de la causalité mécaniste, ou bien du comportement intentionnel ; pour l'homme il n'y a pas de troisième voie praticable.


C’est le mot mécaniste qui est gênant là dedans. Je ne connais plus de science fondamentalement mécaniste comme pouvait l’être la physique classique et comme elle le reste dans son domaine de validité. Nous n’avons plus aujourd’hui la même conception de la causalité. De quand date ce texte ?

Ludwig von Mises a écrit:La vue panmécaniciste du monde est vouée à un monisme méthodologique ; elle ne reconnaît que la seule causalité mécaniciste parce qu'elle attribue à celle-ci uniquement toute valeur cognitive, ou au moins une valeur cognitive plus élevée qu'à la téléologie. C'est là une superstition métaphysique. Les deux principes de cognition — causalité et téléologie — sont, du fait des limitations de la raison humaine, imparfaits et n'apportent pas de connaissance ultime. La causalité conduit à remonter à l'infini un enchaînement que la raison ne peut jamais achever. La téléologie est mise en défaut dès que la question est posée de savoir qu'est-ce qui meut le premier moteur. Chacune des deux méthodes s'arrête court devant un donné absolu qui ne peut être analysé et interprété. Le raisonnement et la recherche scientifique ne peuvent jamais fournir le total contentement de l'esprit, la certitude apodictique, et la parfaite connaissance de toutes choses. Celui qui cherche cela doit s'adresser à la foi et essayer d'apaiser sa conscience en embrassant une croyance ou une doctrine métaphysique.

On ne fait pas plus kantien mais je le rejoins tout à fait. Du point de vue de l’homme, Dieu, l’univers et lui-même sont fondamentalement inconnaissables et cette dimension apophatique est sans doute le fondement même de la liberté.
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 21:39

Ma chère Laure, mon cher Mac Carthy


Laure, nous sommes bien d’accord, en particulier sur la théorie des cordes qui ressemble de plus en plus à une usine à gaz !
Mais créer des modèles et les valider par l’expérience, c’est vrai de toute la démarche scientifique, pas seulement de la physique. C’est sur la notion de causalité que je gambergeais. Je ne vois pas en quoi la causalité dans les « sciences humaines » dont la praxéologie fait partie aurait un statut spécial, en quoi il ne s’agirait pas là aussi d’une création de modèles. Je ne survalorise pas la physique. L’homme de ma vie avait pour terrain de jeu la physique, la chimie physique, les maths appliquées et l’informatique, bref un X resté dans la science plutôt que dans les conseils d’administration, et il m’a ôté tous mes complexes de sciences humaines en me montrant comment les théories tiennent ici comme ailleurs avec du scotch et de la ficelle !
Il reste qu’à l’heure de la systémique, de la théorie de l’information, de la théorie des jeux, etc., on ne voit plus la causalité comme un enchaînement mécanique. Une simple boucle de rétroaction comme on en utilise tous les jours dans le thermostat des radiateurs transforme l’édifice, puisqu’il s’agit d’une causalité circulaire, l’abomination de la désolation pour les anciens épistémologues. Et des boucles de rétroaction, notre corps en est plein, notre histoire aussi. C’est cela, le sens de ma critique sur l’aspect « classique » de la notion de causalité chez Mises. Je la maintiens. J’ai le sentiment que ce texte est déjà ancien. La référence la plus récente dans les notes date de 1960. S’il écrivait dans ces eaux là, je comprendrais mieux sa façon d’aborder les questions de causalité et de téléologie.
Pendant des années, bon nombre de physiciens travaillant sur la mécanique quantique ont été très gênés de ne pouvoir élaborer que des modèles statistiques. D’expérience en expérience, le réel avait beau leur répondre « oui, c’est comme ça que ça marche », ils auraient préféré pouvoir retrouver un déterminisme absolu. Durant ces mêmes années, les biologistes ont mathématisé leur discipline sans pouvoir non plus dépasser une description statistique du réel. Le bel échafaudage réductionniste souhaité par Claude Bernard puis Berthelot n’a jamais pu tenir la confrontation à l’expérience. Devant ce qui était alors vécu comme un échec à connaître, plusieurs hypothèses ont été lancées dont deux eurent un succès fou : la première consistait à supposer que l’univers était en fait strictement déterministe et mathématisable mais que certaines variables nous restaient cachées à cause des limites de nos instruments de mesure. C’est toute l’histoire du paradoxe d’Einstein, Podolsky et Rosen, expérience de pensée qui se voulait une critique acerbe de la physique quantique, de son indéterminisme et s’ingéniait à démontrer que cette théorie menait à des apories. C’était un raisonnement du type « si c’est vrai, alors… » avec en conclusion que cet « alors » était absurde, qu’il fallait admettre que les paradoxes quantiques ne décrivaient que notre degré d’ignorance et qu’il y avait forcément des variables cachées. Le problème, c’est que lorsque Alain Aspect a réussi à monter la manip à Orsay, l’expérience a montré qu’Einstein, Podolsky et Rosen avaient bien décrit ce qui allait se passer et que donc il n’y avait pas de variables cachées. Dur, dur.
Le second exorcisme des statistiques, celui que préféraient les biologistes, c’était le hasard. Voir le célèbre bouquin de Monod. Mais ce hasard là n’est qu’un autre avatar des variables cachées, le moindre mal qui permet de garder le déterminisme comme horizon métaphysique : surtout pas de signification, pas d’intentionnalité, pas de téléologie sinon par illusion de perspective. L’ennui, c’est que plus on observe le vivant et moins ça marche, parce qu’on s’aperçoit que, dans la plupart des cas, il faut remplacer hasard par choix ou besoin.
Tout le passage, chez Mises, sur les animaux, l’instinct et la « quasi-intentionnalité » m’a fait hurler de rire. C’est tout l’épistémologiquement correct des années 60-70, tout ce qui va être battu en brèche par les éthologues d’une part et par les recherches de Prigogine et Stengers sur les systèmes dissipatifs d’autre part. Plus personne n’écrirait ça aujourd’hui.
Donc mon appréciation de Mises, que je découvre, dépend largement de la date de rédaction de ce texte. S’il a été écrit disons entre 65 et 75, chapeau bas. S’il est plus récent, je le prends avec des précautions.
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Message par Docteur Koch Dim 11 Mar 2007 - 21:54

Ludwig von Mises est né le 29 septembre 1881 et il est mort le 10 octobre 1973.

Quelques précisions dans Wikipedia :

Wikipedia a écrit:En 1912 il publie sa « Théorie sur la monnaie et le crédit », l'une de ses principales contributions à la pensée économique qui assied sa réputation en Europe. Il met déjà en garde contre la manipulation catastrophique de la masse monétaire, qui conduisit par la suite au krach de 1929. Il explique que la loi de l'offre et de la demande s'applique aussi à la monnaie, et lui confère son « prix », qui est son pouvoir d'achat.

En 1922, dans son livre « Socialisme », il prédit la chute du communisme, et explique pourquoi selon lui tout système de planification centrale est non seulement moins efficace que le libre-marché, mais doit nécessairement finir par s'écrouler, une économie ne pouvant pas selon lui fonctionner sans prix de marché.

C'est un des plus grands économistes de tous les temps.

C'est scientifique.
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Message par Guinevere Dim 11 Mar 2007 - 23:24

Merci Docteur. Ainsi, je le situe mieux.
Toujours contextualiser la pensée d'un auteur...
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Message par Rantanplan Dim 11 Mar 2007 - 23:35

La raison pour laquelle on perd son temps à chercher les moyens d'exprimer la théorie de l'action humaine en termes des approches contemporaines de la physique, c'est que la démarche scientifique est elle-même un type d'action. La science doit donc admettre a priori, pour seulement exister, l'existence de la conscience, la capacité de l'homme à créer de l'information, et la dépendance des actes vis-à-vis des idées. Cela suffit à disqualifier toute étude de l'action qui la réduirait à un système fermé à toute information nouvelle et, partant, l'emploi de la méthode expérimentale en théorie sociale.
Pour commencer, l’introspection fournit à tout être humain l’expérience universelle du fait qu’il choisit. Les positivistes et les behavioristes peuvent se gausser tant qu’ils le voudront de l’expérience intérieure, l’appréhension introspective par un homme du fait qu’il est conscient et qu’il agit n’en est pas moins un fait de la réalité. De quoi les déterministes peuvent-ils bien se prévaloir contre le fait de l’introspection ? Rien, sinon d’une faible analogie avec les sciences physiques, qui ne correspond tout simplement pas à la réalité. C’est un fait que la matière est soumise au déterminisme et qu’elle n’a ni conscience ni volonté. Mais on n’a pas le droit a priori, et ce serait d’ailleurs préjuger de toute la question, d’appliquer à l’homme froidement, et sans examen, ce modèle de la physique.

Examinons donc pourquoi nous sommes en fait tenus d’admettre que la nature est déterminée. Si nous disons que les choses sont déterminées, c’est parce que toute chose qui existe est nécessairement quelque chose, c’est-à-dire qu’elle a une existence spécifique. Ayant une existence spécifique, elle doit avoir des attributs définis, définissables, délimitables : en somme, elle doit avoir une nature définie. Toute chose, par conséquent, ne peut agir ou se comporter qu’en accord avec sa nature, et deux choses ne peuvent interagir qu’en conformité avec leurs natures respectives. Par conséquent, les comportements de toute chose sont causés, déterminés par sa nature.

Alors que la plupart des objets matériels sont dépourvus de conscience et, par conséquent, ne poursuivent aucun but, c’est un attribut essentiel de la nature de l’homme qu’il a une conscience, et donc que ce sont les choix faits par son esprit qui déterminent ses actions.


Les contradictions du déterminisme

A l’extrême limite, l’application du déterminisme à l’homme pourrait au mieux être un programme pour l’avenir. Depuis tant de siècles de proclamations arrogantes, aucun déterministe n’est jamais venu présenter quoi que ce soit qui puisse ressembler à une théorie déterminant toutes les actions de tous les hommes. Or, à l’évidence, c’est sur celui qui avance une théorie que doit reposer la charge de la preuve, a fortiori lorsque cette théorie contredit nos évidences premières. Nous pouvons au moins demander aux déterministes de bien vouloir se tenir cois jusqu’à ce qu’ils arivent à nous présenter leurs déterminations... y compris, bien entendu, une prédiction de notre propre réaction prétendument déterminée à leur théorie déterministe.

Il existe encore bien des objections au déterminisme : appliqué à l’homme, il est une doctrine contradictoire, parce que celui qui s’en sert se repose implicitement sur l’existence du libre arbitre. S’il existait un déterminisme nous dictant les idées que nous acceptons, Dugland, le déterministe, serait déterminé à croire au déterminisme, alors que Glandu, qui croit au libre arbitre, le serait tout autant à croire à sa propre doctrine. Comme, d’après le déterminisme, l’esprit de l’homme est censé ne pas être libre quand il pense, ni par conséquent quand il parvient à des conclusions sur la réalité, il est absurde que Dugland essaie de convaincre Glandu, ou qui que ce soit, de la véracité du déterminisme. En somme, s’il veut propager sa propre doctrine, le déterministe doit s’appuyer sur la liberté, sur la non-détermination du choix des autres, donc sur leur libre arbitre pour ce qui est d’accepter les opinions ou de les rejeter . De même les déterministes d’obédiences diverses, qu’ils soient behavioristes, positivistes, marxistes, e tutti quanti, prétendent implicitement pour eux-mêmes à une exemption spéciale vis-à-vis de leurs propres systèmes de détermination.
Or si quelqu’un ne peut pas affirmer une proposition sans employer son contraire, il n’est pas seulement pris dans une inextricable contradiction : il concède à ce contraire le statut d’un axiome.

Contradiction corollaire : les déterministes prétendent qu’ils seront un jour capables de déterminer quels seront les choix et les actions des hommes à venir. Or d’après leur propre point de vue, leur connaissance même de cette théorie déterministe devrait également être déterminée. Comment peuvent-ils aspirer à tout savoir, si la mesure de leur propre connaissance est elle-même déterminée, et par conséquent arbitrairement délimitée ? En réalité, si nos idées étaient déterminées, alors rien ne nous permettrait de réviser librement nos jugements et de prendre connaissance de la vérité, qu’elle corresponde au déterminisme ou à quoi que ce soit d’autre.
Ainsi le déterministe, pour prôner sa doctrine, doit-il encore une fois se placer lui-même, avec sa théorie, en-dehors du domaine qu’il prétend universellement déterminé ; en somme, il doit avoir recours au libre arbitre. Que le déterminisme dépende ainsi de sa propre négation est d’ailleurs un exemple d’une vérité plus générale : il est contradictoire de se servir de la raison pour démontrer que la raison ne permet pas d’accéder à la connaissance. Des contradictions de ce genre sont implicites dans des expressions aujourd’hui à la mode comme “la raison nous montre que la raison est faible” ou “plus nous en savons, plus nous savons à quel point nous en savons peu ”.

Certains pourraient objecter que l’homme n’est pas vraiment libre, parce qu’il est obligé d’obéir aux lois de la nature. Dire que l’homme n’est pas libre parce qu’il ne peut pas faire tout ce dont son imagination pourait lui donner envie, c’est en fait confondre la liberté avec le pouvoir . Il est par ailleurs clairement absurde d’employer comme définition de la “liberté” d’une entité le pouvoir d’accomplir une action impossible, de violer sa nature .


Le déterminisme social est un animisme

Les déterministes affirment souvent que les idées d’un homme seraient nécessairement déterminées par les idées des autres, sous la forme de “la société”. En réalité, il est tout à fait possible que Tartempion et Duchmolle entendent exposer exactement le même argument, et que Tartempion l’accepte comme valide alors que Duchmolle s’y refuse. Chaque homme, par conséquent, est libre d’adopter ou de ne pas adopter une idée ou un jugement de valeur. On pourra certes toujours trouver une foule de gens qui adoptent sans examen les idées des autres, mais il n’en est pas moins vrai que ce processus ne peut absolument jamais régresser à l’infini. A un moment ou à un autre, cette idée est venue de quelque part, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été empruntée à d’autres mais inventée par l’esprit d’une personne particulière, et ce, de manière indépendante et créative. C’est logiquement nécessaire pour toute idée donnée.
La “société”, par conséquent, ne peut pas dicter les idées. Si quelqu’un grandit dans un monde où la plupart des gens croient que tous les rouquins sont des créatures de Satan, il a le choix, en devenant adulte, de repenser le problème, pour arriver à une conclusion différente. Si cela n’était pas vrai, les idées, une fois adoptées, ne pourraient jamais changer.


C’est le choix des idées qui explique l’action humaine

La conséquence de tout ce qui précède est que la science authentique doit affirmer le déterminisme pour la nature physique et le libre arbitre pour l’homme et ce, pour la même raison fondamentale, à savoir que toute chose doit agir conformément à sa nature spécifique. Les hommes étant libres d’adopter des idées et d’agir en conséquence, ce ne sont jamais des événements ni des stimuli externes qui sont la cause de leurs idées ; l’esprit adopte librement les opinions qu’il se fait sur les événements extérieurs. Un sauvage, un bébé et un homme civilisé réagiront de manière entièrement différente à la vue d’un même stimulus, qu’il s’agisse d’un stylo, d’un réveil ou d’une mitrailleuse ; car l’esprit de chacun aura des idées différentes sur ce que l’objet veut dire ou ce qu’il est capable de faire . Ne disons donc plus jamais que la Grande Dépression des années 30 a “conduit les gens” à adopter le socialisme ou l’interventionnisme (ou que la pauvreté les pousse à choisir le communisme). La dépression était là, et les gens avaient quelque raison de réfléchir sur cet événement spectaculaire. En revanche, qu’ils aient adopté le socialisme ou son équivalent ne fut pas “déterminé” par cet événement ; ils auraient pu tout aussi bien choisir le laissez-faire, le bouddhisme ou toute autre tentative de solution. Le facteur décisif fut l’idée que les gens choisirent d’adopter.

Qu’est-ce qui conduit quelqu’un à adopter des idées particulières ? Ici, l’historien peut énumérer et peser nombre de facteurs, mais il doit toujours s’arrêter à la liberté finale de l’esprit. Ainsi, sur tout sujet donné, une personne peut décider librement, soit de réfléchir indépendamment à un problème, soit d’adopter sans examen les idées avancées par les autres. Il est certain que la plupart des gens, surtout dans les domaines abstraits, choisissent de suivre les idées proposées par les intellectuels. Au moment de la Grande Dépression, il se trouvait une foule d’intellectuels pour présenter l’orviétan de l’étatisme ou du socialisme comme remède à la dépression, alors qu’il y en avait peu pour offrir le laissez-faire ou la monarchie absolue.

Comprendre que ce sont les idées, librement adoptées, qui déterminent les institutions sociales et non l’inverse, éclaire nombre de domaines de la vie humaine. Rousseau et son armée de partisans modernes, pour qui l’homme est naturellement bon mais corrompu par ses institutions, doivent finalement se taire si on leur demande : “mais qui donc, si ce ne sont des hommes, a créé ces institutions ?” La tendance de nombreux intellectuels modernes à adorer le primitif (et aussi l’infantile —surtout si l’enfant a reçu une éducation “progressiste”— ou la vie “naturelle” du Bon Sauvage des Mers du Sud, etc.) a probablement les mêmes origines. On nous raconte aussi à l’envi que les différences entre des tribus et des groupes ethniques largement isolés seraient “culturellement déterminées” : cela revient à dire que la tribu Machin est intelligente ou paisible à cause de sa culture-machin, la tribu Chose étant stupide ou guerrière à cause de sa culture-chose. Si nous comprenons pleinement que ce sont les hommes de chaque tribu qui ont créé sa culture (à moins que nous ne postulions sa création par quelque Deus ex machina) nous voyons que cette “explication” populaire n’est pas plus éclairante que d’expliquer que l’opium fait dormir parce qu’il a une “vertu dormitive”. En fait, elle est pire, parce qu’elle y ajoute l’erreur du déterminisme social.


On est obligé de tenir compte de la conscience humaine

Cette discussion du libre arbitre et du déterminisme sera certainement taxée de “partialité” au motif qu’elle négligerait la multiplicité des causes et des interdépendances dans la vie humaine. Il ne faut pourtant pas oublier que le but de la science est de mettre au point des explications qui simplifient la compréhension de phénomènes généraux et complexes. Dans ce cas, nous sommes confrontés au fait qu’il ne peut logiquement y avoir qu’un seul maître ultime des actions de l’homme : ou bien c’est sa propre volonté, ou bien c’est une cause qui lui est extérieure. Il n’y a pas d’autre possibilité, pas de moyen terme, et par conséquent dans ce cas, l’éclectisme à la mode chez les universitaires doit s’effacer devant la dure réalité de la loi du Tiers Exclu.

Maintenant que nous venons d’établir le fait du libre arbitre, comment nous est-il possible de prouver que la conscience elle-même existe ? La réponse est simple : prouver consiste à rendre évident ce qui ne l’était pas encore. Or, il peut exister certaines propositions qui sont déjà évidentes en elles-mêmes. Comme nous l’avons déjà indiqué, un axiome évident en soi est une proposition dont on ne peut pas essayer de prouver l’inverse sans être obligé de s’en servir dans le cours même de cette tentative.

L’existence de la conscience n’est pas seulement évidente à chacun d’entre nous par introspection directe : c’est aussi un axiome fondamental, car le fait même de douter de la conscience doit lui-même être un acte délibéré par une conscience . Ainsi le behavioriste, qui affecte de mépriser la conscience au nom de l’“objectivité” sacro-sainte de ses données de laboratoire n’en est pas moins forcé de compter sur... la conscience de ses subordonnés, et sur la sienne propre, pour qu’ils lui fassent part des résultats en question.

Le fond de la démarche scientiste est très simple : elle consiste à nier l’existence de la conscience et de la volonté individuelles . Cela prend principalement deux formes : l’emploi d’analogies mécanistes empruntées aux sciences physiques, et l’application d’analogies pseudo-biologiques inspirées des organismes vivants à des ensembles collectifs fictifs tels que la “société”. Cette dernière démarche attribue la conscience et la volonté, non à des individus, mais à quelque entité organique collective dont la personne ne serait qu’une cellule déterminée. Naturellement, ces deux procédés sont autant de manières de nier dans la pratique le fait de la conscience individuelle.
Murray Rothbard, Économistes et charlatans


Dernière édition par le Lun 12 Mar 2007 - 17:00, édité 4 fois
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Message par georges lane Lun 12 Mar 2007 - 15:29

Grand merci à Rantanplan de rappeler cet excellent développement de Murray Rothbard.

Je n'y avais pas pensé colere

Il fait apparaître indirectement des failles noyé de la démarche de Ludwig von Mises.

Cela étant, je suis tout à fait d'accord avec le préliminaire de Rantanplan. Very Happy

Je l'exprimerai de la façon suivante. tapoter

Comment des prétendus économistes peuvent-ils en effet se satisfaire d'appliquer des méthodes singeant celles de la physique alors que dans leur cas, les êtres humains ou sa nature sont en jeu et dans celui des savants physiciens, c'est la nature ?

Que le savant physicien fasse l'hypothèse, explicite ou non, que la nature qu'il étudie a des desseins, est omnisciente - "Dieu ne joue pas aux dés" - et mène toujours des moindres actions, soit.

Mais que le savant économiste fasse l'hypothèse que les êtres humains dont il étudie en définitive les résultats des actions - plutôt que les actions elles-mêmes, seuls les Autrichiens ... - sont sinon omniscients, du moins ont une incertitude déterministe et maximisent les fonctions objectifs - dont il les gratifie - sous contraintes, c'est dur à avaler. drink

S'il en était ainsi, que serait-il lui-même Question Une chose est certaine : il ne saurait faire valoir qu'il est savant économiste car il n'aurait rien à découvrir. 12.7

Ou alors il devrait admettre que sa "savance" se limite à des calculs d'analyse combinatoire. boulet

Tout cela tend à expliquer ce que j'ai dénommé ailleurs le " méphistophélisme" actuel".


vivefl
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Message par Guinevere Lun 12 Mar 2007 - 16:03

Merci Rantanplan, pour ce texte fort intéressant. Je serais simplement nettement moins déterministe que lui (ou que Georges Lane) quant à la science physique...
J'ai ouvert ce fil de discussion en sachant que je me lançais en terra incognita et que, rencontrant les indigènes de la planète "science économique" ou "libéralisme", je risquais aussi de leur apparaître comme un spécimen martien... Je dois dire que l'insistance mise sur l'homme comme acteur libre et non sur des lois, des cycles, des trucs et des machins que je surnomme in petto "la grande broyeuse" m'est infiniment sympathique...
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Message par Rantanplan Lun 12 Mar 2007 - 16:57

La mise en forme des "anticipations rationnelles" n'apporte pas grand chose, dans la mesure où :
    elle ne peut servir qu'à répondre à des questions sur l'existence et l'unicité d'un "équilibre général" dont on sait a priori qu'il ne sera jamais réalisé et où,

    si on veut rendre compte des actes qui conduisent à s'en approcher, il faut en outre les tenir pour inséparables d'une création d'information qui doit forcément changer les conditions de cet équilibre final imaginaire.

Le problème, si problème il y a, des relations de la théorie sociale et de la science expérimentale me semble donc être de faire découvrir aux savants ce qu'ils doivent présupposer de l'action et de la pensée humaine pour seulement exercer leur métier sans contradiction pratique,
bien plus que de chercher dans les derniers développements de la science expérimentale des éléments d'analogie ou, pire, de "validation" pour une théorie de l'action qui devrait pouvoir s'en passer, puisque s'il existe a priori une dépendance logique, elle irait plutôt dans l'autre sens.

dans les sciences de la nature, l'objet de la connaissance —la nature— et le sujet de cette connaissance —celui qui agit— sont des entités différentes, séparées. Dans les sciences sociales, en revanche, les objets de la recherche et de la connaissance sont eux-mêmes chercheurs et sujets connaissants. A la lumière de cette différence catégorique, il ne va pas de soi que la méthode applicable aux sciences naturelles et aux sciences sociales ne puisse être que la seule et même. Il n'y a même absolument rien de surprenant à ce que, s'agissant de prédiction sur des gens qui font des prédictions, ou de maîtrise instrumentale sur des gens qui pratiquent la maîtrise instrumentale, on ne puisse avoir un progrès scientifique du genre de celui qu'on observe dans les sciences de la nature
Hans-Hermann Hoppe, "Le Rationalisme autrichien à l'ère du déclin du positivisme".
Les plus grands représentants de l'école autrichienne, et en particulier Ludwig von Mises, avaient dès le départ réprouvé comme fausse et contradictoire la méthodologie positiviste-falsificationniste ainsi que son emploi dans le domaine des sciences économiques et sociales. Pour commencer, disait Mises, il est contradictoire de prétendre qu'il ne saurait y avoir que des propositions analytiques ou des propositions empiriques ; car cette affirmation même, si on veut lui prêter la moindre force probante — c'est-à-dire si elle ne doit pas n'être à son tour qu'une proposition analytique "arbitraire" ou alors une affirmation empirique "hypothétique" — doit elle-même représenter justement ce que les positivistes prétendent être impossible : à savoir une connaissance non hypothétique de la réalité. Deuxièmement, indépendamment de ce que l'on peut penser de l'applicabilité de la méthode positiviste dans le domaine des sciences de la nature, il est en tous cas contradictoire de penser qu'elle puisse aussi trouver un emploi dans le domaine des sciences sociales ; car tout savant qui teste des hypothèses doit au moins implicitement convenir qu'en principe il n'est pas en position de prédire aujourd'hui les résultats à venir de sa propre activité future de recherche (en fait, c'est justement parce qu'on est incapable de faire cela que la recherche a le moindre sens), et il s'ensuit que lui-même et son agir propre — c'est-à-dire le domaine des objets qu'étudient les sciences sociales— ne peuvent par principe pas du tout être expliqués ni prédits comme les positivistes se l'imaginent
Hans-Hermann Hoppe, "L'École autrichienne et son importance pour la science économique"
imaginons une explication établissant un lien entre deux ou plusieurs événements et supposons qu'on ait réussi à la faire "coller" à un ensemble de données. On l'applique ensuite à un autre ensemble de données, apparemment pour réaliser un autre test empirique. Maintenant, on est tenu de se demander : "que sommes-nous tenus de présupposer pour lier la seconde expérience à la première de telle manière qu'elle la confirme ou qu'elle l'infirme ?" On pourrait croire d'emblée que si la seconde expérience répétait les observations de la première, ce serait une confirmation, et sinon, une réfutation —et il est clair que la méthodologie positiviste suppose cela vrai. Or, dans ce cas, rien en fait n'autorise à le dire. Car tout ce que l'expérience révèle à l'observateur vraiment "neutre", c'est que l'on peut classer comme "répétition", ou au contraire comme "non-répétition" deux ou plusieurs observations sur la succession dans le temps de deux ou plusieurs types d'événements. Une simple répétition ne devient "confirmation" positive et une non-répétition "réfutation" négative que si l'on suppose, indépendamment de tout ce qu'il est réellement possible de confirmer par expérience, qu'il existe des causes invariantes, opérant indépendamment du temps. Si on suppose au contraire qu'au cours du temps la causalité opère quelquefois d'une manière et quelquefois d'une autre, alors ces cas de répétition ou de non-répétition ne sont que des expériences datées, enregistrées, mais ne peuvent avoir aucun sens particulier ni lien réciproque. Il n'existe entre elles aucun lien logique de confirmation ou de réfutation réciproque. Il y a une expérience, puis il y en a une autre ; elles sont semblables, ou elles sont différentes ; mais c'est tout ce qu'on peut trouver à en dire. Rien d'autre ne s'ensuit.

De sorte qu'il n'est possible de parler de "confirmation" ou de "réfutation" que si l'on présuppose le principe de régularité : que si l'on est convaincu que les phénomènes observables sont en principe déterminés par des causes qui demeurent constantes et ne dépendent pas du temps dans la manière dont elles opèrent. Il faut absolument supposer vrai le principe de régularité pour pouvoir déduire qu'une hypothèse est bancale du fait qu'on échoue à reproduire une expérience ; et c'est à cette condition seule qu'on peut l'interpréter comme confirmée parce qu'on y parvient. Or, il est évident que ce principe de régularité n'est pas déduit de l'expérience et que celle-ci ne pourrait pas le confirmer. Ce lien entre les événements n'est pas observable. Et même si on l'observait, l'expérience ne pourrait pas révéler s'il est ou non indépendant du temps. On ne peut pas non plus le réfuter par l'expérience, puisque si un événement semblait le réfuter (par exemple si on ne pouvait pas reproduire un résultat), on pourrait toujours dire d'emblée que c'était le type d'événement particulier censé en causer un autre qui n'était pas le bon. Et comme cette expérience ne prouve pas non plus qu'une autre succession d'événements ne puisse pas se révéler invariante avec le temps dans sa manière d'opérer, on ne peut pas prouver non plus que le principe de régularité ne serait pas valide.

Et cependant, alors qu'il n'est ni déduit de l'expérience ni réfutable par elle, le principe de régularité n'est rien de moins que la présupposition logiquement nécessaire pour réaliser des expériences dont on puisse dire qu'elles se confirment ou se réfutent mutuellement (par opposition à des expériences sans lien logique entre elles). Ainsi, puisque le positivisme suppose qu'il existe de telles expériences logiquement liées, alors on doit en conclure qu'il admet aussi l'existence d'une connaissance non hypothétique à propos du réel. Il doit bel et bien supposer qu'il existe des causes invariantes avec le temps, et doit le supposer alors même qu'il est impossible d'imaginer que l'expérience le confirme ou l'infirme. Une fois de plus, le positivisme apparaît comme une doctrine incohérente, contradictoire. Des explications non hypothétiques pour des faits réels, ça existe bel et bien.

Enfin (et désormais sans surprise pour nous), la thèse positiviste de l'unité de la science se révèle elle aussi contradictoire. Le positivisme prétend que les actions, de même que tout phénomène, peuvent et doivent être expliquées au moyen d'hypothèses. Si c'était le cas, alors, et de nouveau contrairement à sa propre doctrine suivant laquelle il ne saurait y avoir aucune connaissance a priori de la réalité, le positivisme serait forcé de supposer que les actions humaines aussi sont strictement déterminées par des causes invariantes, indépendantes du temps. Car si nous devions procéder comme le positivisme nous demande de le faire —établir entre différentes expériences un lien de confirmation ou de réfutation supposée— alors il faudrait, comme nous venons de l'expliquer, présupposer que la causalité y opère avec une régularité absolue. Mais alors, si c'était vraiment vrai, et s'il était vraiment possible de concevoir les actions des hommes comme entièrement gouvernées par une causalité invariante avec le temps, alors comment expliquer les explicateurs ? Comment rendre compte du comportement de ceux qui exécutent ce processus même de formation des hypothèses, de vérification et de réfutation ? A l'évidence, pour faire toutes ces belles choses, pour prendre en compte les expériences de "confirmation" ou de "réfutation", pour remplacer les vieilles hypothèses par des nouvelles —il faut bien qu'on soit capable d'apprendre. Mais si l'on peut apprendre de l'expérience, ce que le positiviste est bien obligé d'admettre, alors à aucun moment on ne peut savoir à l'avance ce qu'on ne saura que plus tard, et ce que l'on fera une fois qu'on l'aura su. En fait, la seule chose qui soit possible est de reconstruire la séquence des causes de ses actions, et cela après les faits, car on ne peut expliquer sa propre connaissance que si on la possède déjà. Ainsi, la méthodologie positiviste appliquée au domaine de la connaissance et de l'action, qui contient la connaissance comme ingrédient nécessaire, est purement et simplement contradictoire — une absurdité logique de plus.

Le principe de régularité peut et même doit être supposé dans le domaine des objets naturels, c'est-à-dire pour des phénomènes qui ne sont pas constitués de notre propre connaissance ni d'actions manifestant cette connaissance (dans ce domaine, la question de savoir s'il existe des lois constantes à partir desquelles il est possible de faire des prévisions ex ante est positivement déterminée indépendamment de l'expérience, et les facteurs empiriques ne jouent de rôle que pour déterminer quelles sont les variables concrètes qui ont, ou n'ont pas, un lien de cause à effet avec quelles autres variables). En ce qui concerne la connaissance et l'action, en revanche, le principe de régularité ne peut pas être valide (dans ce domaine, la question de savoir s'il existe ou non des constantes est en elle-même empirique par nature et ne peut être déterminée pour une variable donnée que sur la base de l'expérience passée, c'est-à-dire ex post). Et tout cela, qui est une connaissance authentique de quelque chose de réel, peut être connu apodictiquement ; de sorte que c'est le dualisme méthodologique, et non le monisme que l'on doit accepter et admettre comme absolument vrai a priori.
Hans-Hermann Hoppe, "Le Rationalisme autrichien à l'ère du déclin du positivisme"
En refusant systématiquement de tenir compte du fait que les théories et les observations qui font l'objet d'une interprétation théorique sont le fait de personnes agissantes, qui les imaginent et les mettent en oeuvre pour réussir dans leur action, Kuhn et Feyerabend se sont privés du critère même au moyen duquel toute connaissance concernant la nature est continuellement testée et mesurée : le critère du succès ou de l'échec dans la réalisation d'un projet utilisant la connaissance dans une situation donnée. S'il n'y avait le critère du succès instrumental, peut-être le relativisme semblerait-il inéluctable. En revanche, dans chacune de nos actions vis-à-vis de la nature, nous confirmons l'affirmation du rationalisme suivant laquelle il est possible de définir un domaine d'application pour toute connaissance théorique, et d'y tester continuellement le succès de son application, de sorte qu'on est bien obligé de tenir pour commensurables des théories concurrentes pour les domaines d'applicabilité où elles sont susceptibles de mener au succès. On ne peut pas concevoir une situation où il serait rationnel de renoncer à un outil intellectuel qui se serait montré efficace à une occasion dans un domaine d'application, dans le cas où aucun autre outil ne serait disponible. De même, si un autre outil était plus efficace, par exemple si une théorie ou un paradigme permettait d'atteindre un but qu'on ne pourrait pas réaliser aussi bien si on en appliquait un autre, il serait irrationnel pour quiconque agit de ne pas l'adopter. Bien sûr, rien dans la vie n'empêche de se conduire de façon aussi irrationnelle. Cependant, quiconque le fait doit en payer le prix. Il se prive de la possibilité d'atteindre des buts qu'il aurait pu atteindre autrement. Isolée des autres contextes sociaux qui peuvent donner d'autres raisons, de type psycho-sociologique, pour ne pas l'adopter, seule face à la nature, aucune personne capable de distinguer une action efficace d'une autre inefficace n'accepterait de payer ce prix-là. C'est pour cela que la conception relativiste des sciences de la nature est inacceptable. Pour cela que, dans la maîtrise par l'homme des mystères de la nature, un progrès constant est possible et concrètement observable (Ibid.)


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Message par Guinevere Mar 13 Mar 2007 - 8:30

Merci pour ces références !
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